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Pour la deuxième fois dans l’histoire des prix Nobel, une femme, Esther Duflo, vient de se voir décerner hier le prix Nobel d’Économie. Cette franco-américaine, professeure au Massachusetts Institute of Technology, partage ce prix avec l’Indien Abhijit Banerjee et l’Américain Michael Kremer, pour leurs travaux sur la réduction de la pauvreté. Eh oui, la pauvreté intéresse… Incroyable, non ? Considérée comme l’une des économistes les plus brillantes de sa génération, elle est titulaire d’une chaire au Collège de France sur les « Savoirs contre la pauvreté ». Ses travaux ont été menés pour l’essentiel en Inde et reposent sur des expériences de terrain, conduites en partenariat avec des ONG, qui lui valurent en 2013 d’être choisie pour conseiller le président Barack Obama. « Si on veut comprendre les problèmes liés à la pauvreté, il faut dépasser ces caricatures et comprendre pourquoi le fait même d’être pauvre change certaines choses dans les comportements », affirme-t-elle.

Pas de prix Nobel de la Paix en revanche pour Greta Thunberg. Trop jeune ! A 17 ans, elle n’a pas assez fait ses preuves, dit-on. Elle n’a certes pas encore réconcilié l’humanité et la planète. Mais le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, lui, a mis fin à 20 ans de guerre avec l’Érythrée : le prix Nobel de la Paix, décerné vendredi dernier à Stockholm, lui revient. Et c’est amplement mérité. Mais voilà qui soulève une question : celle de la place des jeunes générations dans notre représentation du monde. Peut-on terminer ses études et avoir déjà de l’expérience professionnelle, comme l’exigent certains employeurs ? Peut-on être à la fois jeune et expérimenté ? Peut-on avoir 16 ans et recevoir le prix Nobel de la Paix ? La réponse est non.

Mediatico interviewait la semaine dernière Muhammad Yunus, un autre prix Nobel de la Paix. Nous l’avons questionné sur un jeune garçon né au Bangladesh, comme lui. « Fahim », c’est son nom, est le héros du film de Pierre-François Martin-Laval, à l’affiche cette semaine au cinéma. Une histoire vraie, à voir absolument. A l’âge de 12 ans, Fahim prend la route de l’exil avec son père, opposant politique, pour rencontrer en France un maître des échecs, campé par Gérard Depardieu. Barrière de la langue, difficulté d’intégration, mensonges d’un traducteur, précarité, racisme… Pourtant, en quelques mois, l’incroyable se produit : Fahim devient champion de France de jeu d’échecs des moins de 12 ans. François Fillon, alors Premier ministre, lui attribuera une carte de séjour, renouvelée cette année encore. Peut-on être champion de France à 12 ans et sans papiers ? La réponse est non.

Cette semaine, les enfants nous interpellent : « Engagez-vous pour mes droits », affirment-ils à l’occasion de la journée mondiale du refus de la misère, jeudi 17 octobre, impulsée en 1987 par le Père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Déjà, des comités locaux se mobilisent dans toute la France, à Laval, Tulle, Clermont-Ferrand… Et cette année, les enfants occupent une place centrale dans le dispositif. La misère n’a pas d’âge, évidemment. Mais nous célébrons parallèlement cette année le 30e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. Alors voici des élèves de CP qui interpellent le président de la République sur leurs droits, dont il doit être le garant. Peut-on jouer et rire comme un enfant, mais se trouver dans la misère ? La réponse est non.

Pourtant, la pauvreté touche encore 3 millions d’enfants en France, soit 20% des jeunes, avec des répercussions sur la santé, l’éducation, l’estime de soi, l’alimentation… « Quand tu ouvres le frigo, il n’y a que la lumière », racontait l’un des jeunes dans le documentaire « Gosses de France » diffusé la semaine dernière sur France 2. L’an dernier, Emmanuel Macron avait mis sur la table 8,5 milliards d’euros pour mettre en place son Plan Pauvreté et  « enrayer les inégalités de destin ». Nous étions en septembre 2018. Un an plus tard, où en est-on ? La moitié des crédits annoncés provient du redimensionnement budgétaire de la prime d’activité. Et les ONG regrettent un grand écart entre les paroles et les actes. Peut-on dire une chose et faire son contraire ? La réponse est non. Les enfants confrontés aujourd’hui à la pauverté pourront-ils s’en émanciper ? La réponse, cette fois, devrait être oui.

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