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Chercheuse à l’université de Caen, Adeline Graby rédige une thèse sur la sauvegarde du commerce alimentaire en milieu rural et les mobilisations locales. Elle se focalise sur des communes normandes de moins de 1.000 habitants, comme par exemple le village de Brassy. En zoomant sur ces bourgs où de nombreux citoyens, collectivités ou coopératives tentent de redynamiser le centre-ville, elle met en lumière des enjeux forts de la problématique du foncier commercial en milieu rural.

Pourquoi avoir eu envie de travailler sur le commerce en milieu rural et précisément sur des villages de moins de 1.000 habitants ?

Adeline Graby : En cherchant un sujet de thèse, j’ai commencé à me questionner sur le commerce en ruralité, surtout sur le rôle des collectivités. On parle beaucoup des petites villes ou des villes moyennes où il existe déjà des politiques publiques, comme les programmes « action cœur de ville » ou « petite ville de demain ». Mais on ne parle pas beaucoup des toutes petites communes. C’est plus compliqué pour elles, parce que ce sont des villages qui ont perdu tous leurs commerces, que les habitants se déplacent pour travailler sur les zones d’emploi et que les grandes surfaces sont parfois éloignées. Avec ma thèse, j’essaie de comprendre comment et pourquoi les collectivités interviennent et quelle est la viabilité de leur intervention.

Quelles dynamiques se créent autour des commerces de petites villes et de villages ?

A.G : On trouve des communes qui réussissent à recréer cette dynamique : elles impulsent ou soutiennent des ouvertures de maisons d’assistantes maternelles, de maisons pour personnes âgées, ou encore des petits pôles commerciaux adaptés à leur situation. Les néoruraux attendent de trouver plusieurs services dans leur commune, je dirais même qu’ils sont « rassurés » de venir s’installer dans une commune qui propose un service de garde d’enfants par exemple, dans une commune où il y a un café… De manière générale, les commerçants sont obligés de diversifier leur activité : plus on propose de services, plus on attire de personnes.

Il y a vraiment des innovations dans les villages. Des élus se questionnent sur les besoins de leur commune et ils s’adaptent. Parfois, ils répondent à un « idéal » de ce que doit être un village dans l’espace rural pour ne pas devenir une commune-dortoir. Par exemple, dans l’Eure, une commune a ouvert une conciergerie multiservices, tenue par une association de réinsertion professionnelle. C’est un projet très spécifique, mais intéressant car le village a un fort taux de personnes au RSA et de résidences secondaires. Sa sociologie est particulière.

Il faut savoir que ce genre de projets est mené par des élus qui montent des dossiers très compliqués et qui, parfois, n’ont même pas de secrétaire de mairie à temps plein. Pour moi c’est une vraie question politique, mais elle est effacée face aux projets des plus grandes villes. La différence majeure est que les élus des villages n’ont pas vocation à devenir député par exemple et ils sont installés dans la commune depuis 20 ans ou 30 ans.

Pour quelles raisons le foncier est-il si difficile d’accès ?

A.G : Le problème principal, c’est que les commerces ruraux sont très vieillissants. Seule l’intervention des collectivités publiques permet une modernisation du parc immobilier. Il s’agit avant tout de rénover un bien qui n’aurait jamais pu l’être par un privé, à cause du coût des travaux.

Certains élus font des dons de bâtiments sur dix ans à condition que le commerce reste, ou bien ils font appel à un établissement public foncier pour l’achat du fonds de commerce. Car il peut arriver que certains néo-commerçants qui ne connaissent pas le métier ni l’espace rural lâchent l’affaire rapidement. Les maires agissent sur le foncier car ils n’ont pas « envie que l’économie soit un frein à quelqu’un qui est motivé et qui restera ». D’ailleurs, très souvent, ils construisent un logement à côté, à des prix très modérés.

Constatez-vous également des problèmes de logement sur ces territoires ?

A.G : Les communes de moins de 1.000 habitants sont peu saturées, mais dans les petites villes de 7.000 habitants par exemple, le parc d’habitat est souvent très vieillissant. En périphérie de ces communes notamment, le parc de logement est compliqué à gérer. Dans l’Eure par exemple, l’arrivée de Parisiens a permis le rachat d’anciens logements remis à neuf.

Les grandes enseignes s’intéressent au potentiel économique des territoires ruraux. Comment éviter qu’elles concurrencent les commerces de proximité fraîchement installés ?

A.G : La guerre des implantations des grandes enseignes alimentaires est terminée dans les grandes villes et elles vont essayer d’aller sur des bourgs plus petits. L’idée n’est pas forcément d’empêcher ces implantations. Mais il faut absolument analyser l’importance des dynamiques dans les centres-villes. Pour cela, de nouveaux métiers apparaissent, comme celui de manager de centre-ville par exemple*.

Propos recueillis par Elodie Potente

*Les managers de centre-ville sont notamment embauchés par les collectivités dans le cadre des programmes “Action cœur de ville” ou “Petites villes de demain”. Ils sont là pour analyser les dynamiques des centres-villes et coordonner les actions visant leur développement économique.

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