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Les extrêmes se rejoignent, paraît-il, même si cela ne s’observe pas tous les jours. Ce qui est grand n’est pas petit, la majuscule n’est pas une minuscule, l’Omega n’a rien d’un Omicron (omicron = o minuscule, en grec)… Alors, une idée grandiose peut-elle accoucher d’une loi minuscule ? Peut-être, parfois. Dans ce cas, que penser de la loi qui interdit la destruction des produits invendus depuis le 1er janvier ? Chez Label Emmaüs et dans le milieu des ressourceries, on s’en félicite. Chez Ouishare et Zéro Waste, le scepticisme est de mise. Pourquoi ? Entrons dans le débat !

Sachez d’abord que la loi Anti-gaspillage et économie circulaire (appelée loi Agec) de février 2020 entre en vigueur à rythme progressif. Rappelez-vous : la fin des pailles en plastique, la réduction des déchets, l’information des consommateurs sur la réparabilité des produits, le suremballage, la diminution du gaspillage, le réemploi solidaire… Nous y voilà ! Depuis le 1er janvier 2022, « les entreprises n’ont plus le droit de détruire ou de mettre en décharge leurs produits (vêtements, meubles, produits électroniques, produits d’hygiène…) », rappelle Label Emmaüs. Même s’ils n’ont pas été vendus pendant les soldes. Même si les fins de stocks encombrent les entrepôts. Même si les entrepôts coûtent cher à louer. Car oui, dans le monde d’avant, les fins de stocks étaient incinérés, même neufs (chuuut, on est un peu honteux de le dire, mais oui : ça se passait comme ça).

2022, Tadaaam ! Tout change (on y croit) : les entreprises de production et de distribution ont désormais l’obligation de réutiliser, de recycler ou de réemployer leurs invendus et certains produits de première nécessité doivent même être donnés à des associations. Géniaaal ! Ainsi, les entreprises n’auront plus jamais mauvaise conscience, puisque voilà de quoi valoriser leur impact positif indirect dans leur prochain rapport RSE ! Et les associations caritatives ou les ressourceries vont bénéficier d’une pluie de dons, qu’elles vont pouvoir redistribuer largement à leurs bénéficiaires. Un monde parfait, dirait-on ! Mais, pas si sûr.

D’abord, parce que la collecte des invendus suppose une organisation logistique à laquelle peu d’associations sont préparées. Dans le domaine alimentaire, où la loi interdit la javelisation des invendus comestibles depuis 2016, nombre d’associations sont encore aujourd’hui obligées d’accepter plus de dons qu’elles peuvent en redistribuer, au motif que le distributeur impose le « tout ou rien » : si l’association rechigne à tout prendre, il est toujours prêt à se tourner vers d’autres associations moins regardantes sur les volumes. Bel exemple d’une grande idée qui débouche sur une mise en œuvre minimale, puisqu’elle met en concurrence les associations et les oblige à jeter elles-mêmes les derniers surplus. On marche sur la tête. En sera-t-il de même demain dans le secteur non-alimentaire, où les filières de réemploi ne sont pas pleinement opérationnelles ?

Ensuite, parce que la réglementation n’interdit pas le recyclage. Pour les objets invendus, qui nous intéressent, seule l’incinération et la mise en décharge sont proscrites à partir de 2022. Ainsi, l’industrie de la mode et du luxe, par exemple, peut continuer de s’adonner à la pratique du « démantèlement » de sa production excédentaire, qu’elle ne veut ni brader ni donner pour préserver son image de marque, mais qui sera donc détruite et recyclée. « Tout est à déconstruire dans ce discours, il faut en revenir aux faits : en détruisant des sacs ou des vêtements, c’est du travail humain que l’on annihile, ce sont des ressources précieuses que l’on abîme irrémédiablement, quand bien même on tente de les recycler », décrypte Flore Berlingen dans cet article du magazine Ouishare.

Qui est Flore Berlingen ? Co-fondatrice du collectif Ouishare, qui a œuvré pour le développement en France de l’économie collaborative trop vite écrasée par l’économie de plateformes, elle est aussi fondatrice de Zero Waste France et de la Maison du Zéro Déchet à Paris. Et elle n’a pas la langue dans sa poche. Elle dénonce les dérogations favorables aux industriels prévues par la loi, le surcoût du recyclage qui permettrait d’obtenir des exemptions, mais elle s’en prend aussi au modèle de surconsommation de notre société qui impose de n’avoir jamais de rayon vide en magasin pour appâter le client, donc de toujours disposer de stocks suffisants pour assurer les réassorts. Ne soyons pas dupes, assure Flore Berlingen : « La surproduction est délibérée, organisée, car elle fait consommer plus ». Et toujours plus vite, sur un mode compulsif, comme le pratique Amazon.

Au fond, la loi Agec est-elle une mauvaise loi ? A peine promulguée, est-elle déjà rattrapée par la complexité – voire la perversité – de notre modèle économique ? Probablement. Pour autant, rien ne sert de jeter le bébé avec l’eau du bain. Très attendue dans les milieux associatifs, écologistes et militants, qui l’ont pour la plupart saluée lors de sa promulgation, la Loi Agec est sans nul doute une grande loi, structurante et de long terme. Même imparfaite ! Flore Berlingen pointe déjà une amélioration possible : « On ne le dit pas assez, mais les entreprises bénéficient d’un énorme soutien, sous la forme d’une déduction fiscale, lorsqu’elles donnent leurs « invendus » à des associations d’intérêt général : le régime du mécénat leur permet de déduire jusqu’à 60% de la valeur marchande du stock donné ».

Et si la prochaine loi de finances venait modifier le régime du mécénat de produits ? Soit en lui imposant des indicateurs d’impact exigeants et traçables, soit même en supprimant cet avantage fiscal affecté au don ? Le don est toujours plus noble quand il est sans contrepartie. Dans les associations, les bénévoles en savent quelque chose.

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