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3 questions à Jérôme Saddier, président d’ESS France

Après l’étude du CNCRESS, quel regard portez-vous sur les effets des politiques publiques de l’emploi sur le secteur de l’ESS ?

L’économie sociale et solidaire au sens large continue de créer des emplois, elle en crée même plus que le reste de l’économie. L’étude du CNCRESS nous montre donc sa résilience, mais aussi un début de retournement de tendance en 2017 directement lié aux politiques de l’emploi, avec la fin du développement des contrats aidés. L’économie sociale et solidaire n’est pas totalement dépendante des fonds publics. Contrairement à certaines idées reçues elle n’est pas une économie massivement subventionnée. Mais dans le secteur associatif, la fin des contrats aidés a un impact décisif, tout comme l’assèchement des subventions tant au niveau national que territorial, ou encore certaines évolutions de la fiscalité sur le mécénat d’entreprise par exemple. Il y a donc là une incidence directe et pénalisante de la politique du gouvernement sur le secteur. 

Par ailleurs, ce gouvernement, comme d’autres avant lui, fait l’erreur de penser que c’est en agissant sur le coût du travail, en abaissant le niveau des charges, que l’on aide les entreprises à embaucher. Dans la vraie vie, les choses ne se passent pas comme ça. Je le dis aussi en tant que chef d’entreprise : on embauche quand on obtient des marchés, quand on a des produits ou des services à vendre. C’est cela qui fait la création d’emploi. La politique de baisse des charges ne peut pas porter seule toutes les créations d’emplois et inverser durablement la courbe du chômage. La vraie question est de savoir comment on stimule l’activité économique. L’économie sociale et solidaire ne réagit pas autrement que le reste de l’économie. En revanche, la force de l’ESS c’est de répondre de manière dynamique à des besoins nouveaux, qui ne sont pas pris en compte par le marché ou par les pouvoirs publics, en trouvant des réponses opérationnelles qui génèrent de la valeur et de l’emploi, aidé ou pas.

Certains reprochent à l’ESS le coût des emplois aidés pour le budget de l’Etat…

L’argent public a toujours aidé, de longue date, à la création d’activité et donc d’emplois. C’est très idéologique que de prétendre le contraire ! De nombreux secteurs économiques ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui s’ils n’avaient pas bénéficié d’argent public, sous une forme ou sous une autre : subvention, avantage fiscal, participation de l’Etat au capital… La recherche, l’automobile, le ferroviaire, l’énergie, les médias… consomment ou ont consommé énormément d’argent public. L’important, c’est de savoir sur quoi l’Etat veut investir. On entend souvent, pas seulement au café du Commerce, la critique selon laquelle ces emplois sont conçus seulement pour occuper des gens. C’est évidemment un argument caricatural. 

L’économie sociale et solidaire ne crée pas d’emplois occupationnels avec l’argent public. Il me semble que les pouvoirs publics ont rompu depuis longtemps avec cette vision, préférant créer des emplois durables appuyés sur des parcours. Il me semble même que c’est la philosophie du gouvernement actuel. Nous sommes dans la même philosophie avec les 5.000 “emplois d’utilité citoyenne” que nous proposons : il y a des formes d’activités utiles à la cohésion sociale, autant qu’ils apportent de la dignité humaine. Il faudrait parfois plus de discernement à l’Etat pour investir sur les secteurs d’avenir, nous avons la conviction que l’ESS lui en propose. Et ce ne sont pas 5.000 emplois qui vont bouleverser la politique budgétaire de la France.

Le secteur de l’ESS devrait-il donc être plutôt rattaché à Bercy, ou au ministère du Travail ?

S’il s’agit de soutenir le développement d’écosystèmes favorables au développement de l’ESS, peu importe notre rattachement. Nous avions soutenu le rattachement de l’ESS au ministère de la Transition écologique et solidaire, car la feuille de route de ce ministère en 2017 pouvait appuyer le développement de l’ESS, notamment pour appréhender les outils favorables à l’innovation sociale et à la transition écologique. Cela reste aujourd’hui à construire, indépendamment des travaux que nous menons avec le Haut-commissariat à l’économie sociale et solidaire. Mais rappelons aussi que la plus grande partie des structures de l’ESS dépend d’autres ministères. C’est là qu’est notre problème aujourd’hui, tout comme auparavant, car cela nécessite une vision interministérielle de l’ESS, avec un portage à la fois administratif et politique. 

Or, si nous contribuons aujourd’hui au programme porté par Christophe Itier, nous n’avons pas le sentiment d’être bien entendus au niveau gouvernemental sur l’ensemble des sujets qui nous concernent, que ce soit dans l’évolution de nos entreprises ou dans nos différents secteurs d’activité. En particulier quand certains choix fiscaux menacent des coopératives, quand certaines mesures sur la santé viennent fragiliser les mutuelles, ou quand des décisions sur le monde agricole pénalisent les coopératives. Tout cela échappe malheureusement au portefeuille du Haut-commissariat à l’ESS. Cela nous interroge.

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