Le diable se niche dans les détails, dit-on. Deux petites lettres ont donc suffi pour semer le doute, lever le lièvre, ou découvrir le pot-aux-roses, c’est comme vous voulez, à savoir ce petit « en » au lieu de « pendant », dans le communiqué de presse de Bercy daté de vendredi dernier (lire ici). La nouvelle ministre déléguée à l’économie sociale et solidaire, Marie-Agnès Poussier-Winsback, y annonce en effet fièrement la liste des 15 nouveaux Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) soutenus cette année par l’Etat (lire notre article).
Une petite prouesse, en vérité, car à peine en poste, la ministre est au travail. Elle monte même en première ligne sur un dossier complexe, empli d’acronymes : les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), qui incarnent les coopérations territoriales entre de multiples acteurs privés, publics, associatifs et coopératifs, au service du développement d’un territoire et de la création d’emplois non-délocalisables. Précisons aussi, et surtout, qu’ils s’inscrivent en faux contre les très sarkozystes Pôles de compétitivité économique, prouvant une nouvelle fois que l’économie sociale et solidaire sait inventer des alternatives concrètes aux logiques de compétition capitalistes.
Mais voilà qu’en période de préparation du budget 2025, et au lendemain de la nomination d’un gouvernement Barnier qui prépare tous les esprits à la rigueur avant même d’avoir prononcé son discours de politique générale (il le fait ce matin-même), se pose donc la question des crédits qui seront accordés à nos fameux PTCE dans le budget 2025. Et là, rien n’est moins sûr.
Petit recul historique sur les PTCE
- 2014 : Benoît Hamon fait reconnaître les PTCE dans la Loi ESS, bravo.
- 2019 : Christophe Itier invente les Territoires French Impact, les PTCE menacent de disparaître.
- 2021 : Suite au rapport du Labo de l’ESS, Olivia Grégoire relance la dynamique des PTCE.
- 2022 : Olivia Grégoire lance le premier appel à projets doté de 1M€ pour 10 PTCE.
- 2023 : Marlène Schiappa hausse le budget à 1,5M€ pour 15 PTCE (voir notre interview vidéo)
- 2023 : Olivia Grégoire revient et ajoute 1M€ d’aide à l’émergence (total : 2,5 M€) (lire notre article)
- 2024 : Marie-Agnès Poussier-Winsback conserve le budget de 1,5 M€… « en deux ans ».
Nous y voilà. La question est technique, mais elle est sensible : combien Bercy va-t-il consacrer aux PTCE ? 1,5 M€… ou deux fois moins ? S’agira-t-il, comme auparavant, de 100.000 euros par PTCE x 15 PTCE lauréats, soit 1,5 M€ par an ? C’est ce qu’indiquaient jusqu’ici les ministres en charge de l’économie sociale et solidaire, qui publiaient chaque année un nouvel appel à projets à l’attention de nouveaux candidats.
Ou bien Bercy s’attachera-t-il à débloquer « en deux ans » le montant de 100.000 euros par PTCE, comme indiqué dans le communiqué de Marie-Agnès Poussier-Winsback ? Cela ferait peu ou prou 50.000 euros versés cette année, puis autant l’année prochaine, au gré de l’avancement du projet au sein de chaque PTCE. Certes, les autorisations d’engagement budgétaires sont actées à Bercy. Mais les versements ne sont pas effectifs immédiatement. Avez-vous vu le loup ?
L’an prochain, il sera donc facile à Bercy d’arguer de cette petite phrase bien connue des administrations locales : « Les crédits n’ont pas été totalement consommés ». Eh oui, pardi, on ne remet pas au pot. Attendons plutôt l’année suivante, pour voir où nous en serons !
Ainsi, alors qu’Olivia Grégoire avait voulu « sanctuariser » le soutien de l’État aux PTCE, rien ne garantit à ce jour le lancement d’un futur appel à projet financé dans le budget 2025. Presque rien n’est dit non plus de l’enveloppe de 1 M€ supplémentaire décidée en 2023 pour financer l’émergence des nouveaux PTCE, hormis cette phrase du communiqué : « L’Etat consacre plus de 2 millions d’euros afin de favoriser l’émergence des PTCE et leur développement ». Si l’on retranche le 1,5 M€ de l’appel à projet évoqué plus haut, les crédits à l’émergence seraient donc réduits à 0,5 M€, soit moitié moins que l’an dernier. Les PTCE attendent des précisions !
À moins d’un engagement politique fort et immédiat face à l’administration de Bercy, les PTCE pourraient rapidement faire les frais de la nouvelle politique de rigueur budgétaire. Et cela, au lendemain même de l’annonce des 15 PTCE lauréats de 2024.