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Pour l’économie sociale et solidaire, de quoi novembre est-il le mois ? Celui de la célébration d’abord, assurément, avec ses multiples remises de prix, trophées et récompenses, qui viennent saluer les projets les plus méritants. Hier soir encore, Mediatico était à pied d’œuvre, à l’Hôtel de Ville de Paris, pour la célébration des 10èmes trophées parisiens de l’ESS dont nous vous présentons dans notre newsletter, en exclusivité, les 12 lauréats en vidéo. Et la semaine dernière à Niort, lors du Forum national de l’ESS, les prix nationaux de l’économie sociale et solidaire étaient décernés à « Permis de construire », qui travaille à la réinsertion des personnes placées sous main de justice en Pays de la Loire, au « Bien Être Médical », qui développe une économie circulaire du matériel médical en Bourgogne Franche Comté, et à « l’Ilot Femmes », qui propose un accueil de jour pour femmes en difficulté ainsi qu’un accompagnement des familles en Nouvelle Aquitaine. Bravo à eux, vraiment !

Pour autant, le mois de novembre est aussi celui d’une large mise en concurrence, qui mérite d’être questionnée. A l’heure où les financements publics se raréfient, sachant qu’une remise de prix s’accompagne presque toujours d’une subvention, la course est donc ouverte entre les acteurs de l’ESS. Décevant paradoxe, vous ne trouvez pas ? En 2017, Do Huyn, directeur de Carton Plein, écrivait déjà : « De plus en plus, je suis attristé de me trouver face aux autres pour gagner tel prix, telle distinction, tel financement, alors que notre horizon est celui de travailler ensemble, de gagner collectivement la lutte contre les exclusions, les gaspillages, les injustices, les inégalités ». Certes, l’argent est le nerf de la guerre. Alors à la guerre comme à la guerre ? L’ESS veut-elle vraiment faire la guerre, à qui et pourquoi ? Peut-elle seulement s’accommoder de cette logique de compétition contraire à ses principes et, si oui, à quel prix ?

Comme souvent, la réponse appartient aux donneurs d’ordre, aux financeurs… et à leurs critères de sélection. Or, en matière de sélection, chacun sa méthode. Lors des Grands prix de la finance solidaire, Finansol présentait la semaine dernière sur scène quatre nominés par catégorie, pour n’en retenir qu’un. Applaudissements nourris, félicitations au lauréat. Mais trois déceptions, évidemment. De son côté, La Fabrique Aviva récompensait avant l’été une cinquantaine de projets entrepreneuriaux, au terme d’une longue procédure de vote ouverte au public sur une plateforme collaborative. Intéressant. De même, la Fondation La France S’engage, qui vient d’ouvrir son appel à concours 2020, s’en remet à l’appréciation du public en accordant 10% de la note finale des projets au nombre de votes sur Facebook, pour mettre en avant leur capacité de mobilisation. Intention louable, mais dotée d’un effet pervers. Car voilà qui désavantage d’emblée les projets trop locaux, ou tout juste émergents.

Aucun concours ne sera jamais pleinement satisfaisant, mais les acteurs de l’ESS sont en droit d’être exigeants sur le respect de leurs valeurs, à l’heure de concourir et d’être mis en compétition. Ils savent entendre qu’un prix sera décerné, ici dans un souci d’équilibre géographique afin de valoriser les territoires, là que le coup de pouce est destiné aux structures les plus jeunes pour favoriser leur émergence, là-bas que c’est l’innovation sociale qui prime tant les besoins sociaux sont importants. Reste la question de la performance : faudra-t-il récompenser, demain, les projets au regard de leur impact social, justifié à coup de batteries d’indicateurs dans une logique arithmétique purement concurrentielle ? Attention, danger ! Ne faisons pas rimer « solidarité » avec « rivalité ». L’heure de la « coopétition » a peut-être sonné, comme l’évoque Pablo Servigne dans l’ouvrage « L’Entraide, l’autre loi de la jungle ». Et si on pouvait être lauréat ensemble, tous debout sur l’estrade ?

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