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Décidément, j’aime TotalEnergies… pour sa franchise. Quoi qu’il arrive à l’Ukraine, le 6e groupe pétrolier mondial ne quittera pas la Russie, c’est clair. Depuis le 24 février, date de l’invasion russe, son PDG Patrick Pouyanné reste droit dans ses bottes, raide comme un piquet. Il est plus fort que l’État : la pression du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui a invoqué devant lui l’éthique en temps de guerre, n’a servi à rien. Il est plus malin que ses concurrents aussi : le britannique BP a vendu dès la fin février ses 20% du pétrolier Rosneft, Shell s’est désengagé de Gazprom, le français Engie chiffre à 1 milliard d’euros la suspension du gazoduc Nord Stream 2. L’italien ENI, le norvégien Equinor et l’américain Exxon ont aussi renoncé à leurs opérations sur place et rompu leurs partenariats avec les entreprises locales.

TotalEnergies est complice

Pendant ce temps, TotalErnergies continue de faire du business avec la Russie. Ou plus exactement avec les compagnies d’État. La distinction est importante, car d’autres entreprises françaises travaillent encore aujourd’hui en Russie. Comme Renault, ou Auchan qui compte 30.000 employés dans le pays. Mais ces entreprises produisent des biens ou des services pour la population russe, pas pour l’État. A l’inverse, en travaillant directement avec l’État russe, TotalEnergies finance la sale guerre de Vladimir Poutine, qui bombarde les hôpitaux et les maternités, qui cible les civils ukrainiens avec des bombes à sous-munitions, en dépit des conventions internationales, en dépit de sa mise au ban de la communauté internationale à l’ONU le mercredi 2 mars. Vladimir Poutine est aujourd’hui un criminel de guerre, passible du Tribunal pénal international. Et TotalEnergies est son complice.

Quitter la Russie coûterait-il cher à TotalEnergies ? Bien sûr. Patrick Pouyanné a d’abord minimisé l’enjeu, assurant que la Russie représentait seulement « de 3 % à 5 % » de son chiffre d’affaires. Mais changeons d’unité de mesure. En réalité, écrit L’Obs, « la Russie, c’est plus de 29 % de sa production totale de gaz et le PDG a fait de cette énergie le cœur de sa stratégie de transition vers les énergies renouvelables ». La vraie question devient : TotalEnergies peut-il se passer de 29% de sa production ? Assurément. En vendant ses 20% dans Rosneft, le britannique BP a lui aussi renoncé à 30% de ses approvisionnements. Sans tergiverser une seconde.

Surtout, TotalEnergies ne s’est jamais mieux porté : le groupe français a réalisé l’an dernier 14 milliards d’euros de bénéfice net. Quatorze milliards, après impôt ! Un record ! Et compte tenu de la flambée actuelle des prix de l’énergie du fait de la guerre en Ukraine, nul doute que les bénéfices de Total vont encore progresser cette année. Les administrateurs et les actionnaires de TotalEnergies dorment-ils sur leurs deux oreilles, alors que Vladimir Poutine déstabilise la paix d’une partie du monde, provoque une crise énergétique, menace le Proche-Orient de famine faute de blé disponible, ou déclenche le trafic d’enfants ukrainiens, enlevés de leurs camps d’accueil pour être vendus – pour adoption dans le meilleur des cas ?

Nommer et dénoncer le manque d’éthique

L’argent de Total, plus fort que les bombes. Plus fort que la souffrance du peuple ukrainien. Plus fort que tout, puisque TotalEnergies avait déjà tout fait, après 2014 et l’annexion de la Crimée, pour mener à terme le projet Yamal LNG d’extraction de gaz naturel liquéfié dans le nord de la Russie, malgré les sanctions occidentales. Ou encore, puisque les ONG du collectif Notre Affaire à Tous ont montré l’an dernier que Total connaissait dès les années 1970 l’impact des énergies fossiles sur le changement climatique. Ou, plus récemment encore, puisque TotalEnergies ne s’est résigné à quitter la Birmanie qu’en janvier dernier, après les révélations du journal Le Monde montrant que le groupe français contribuait au financement de la junte militaire. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir des militants demander le démantèlement de TotalEnergies sur le site Mr Mondialisation.

Pour sa part, Mediatico opte pour le « Name and Shame », cette stratégie des investisseurs responsables qui jugent nécessaire de « nommer et dénoncer » les entreprises dont la morale est contraire à l’éthique. C’est aujourd’hui clairement le cas de TotalEnergies, mais aussi de ses 13 administrateurs – dont 8 indépendants – qui dirigent le groupe pétrolier. Parmi eux, 10 Français : Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Jacques Aschenbroich (Valéo), Patricia Barbizet (Temaris), Marie-Christine Coisne-Roquette (Sonepar), Jérôme Contamine (indépendant, ex-Sanofi), Valérie Della Puppa Tibi et Romain Garcia-Ivaldi et Angel Pobo (tous trois représentants des salariés), Anne-Marie Idrac (indépendante, ex-SNCF), ou encore Jean Lemierre (BNP Paribas). Il nous faut faire connaître leurs noms, pour qu’ils assument leurs responsabilités et orientent différemment la stratégie de TotalEnergies. Il nous faut de la transparence dans l’univers de la finance.

Boycotter les stations-service

Mediatico appelle aussi au boycott de TotalEnergies par les Français, à la pompe comme en bourse. Regardez si votre portefeuille boursier contient des titres TotalEnergies – ou des obligations de l’État russe. Si tel est le cas, vendez ces titres pour ne plus financer leur stratégie. Si votre chauffage au fioul vous coûte trop cher, pensez à acquérir un poêle à bois. Si vous voulez vous équiper d’une pompe à chaleur, privilégiez la version électrique au lieu de celle au gaz.

Et la prochaine fois que vous voudrez faire un plein de carburant, boycottez les stations TotalEnergies : le groupe est leader du secteur avec 1.481 stations-services en France, mais il ne pèse que 15% du marché : il est talonné de près par Intermarché (1.428 stations), Système U (864), Carrefour Market (719) et Leclerc notamment (696). A quatre semaines d’une autre élection majeure, les Français, citoyens et consommateurs, peuvent et doivent voter avec leur portefeuille. Pour l’honneur. Et pour l’Ukraine.


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