Et si les entreprises d’information devenaient des sociétés à mission ? Et si leurs aides d’Etat étaient conditionnées à des objectifs d’éthique, de participation des lecteurs, de gouvernance partagée avec les journalistes, d’éducation citoyenne aux médias, ou de diversité de points de vue ? C’est l’une des nombreuses propositions émises jeudi dernier lors de la restitution des Etats Généraux de l’Information, lancés voilà un an par Emmanuel Macron (lire les propositions). Un rapport très riche, certes. Qu’il serait dommage de voir comme beaucoup d’autres mourir sur une étagère.
Avez-vous seulement remarqué, depuis un septennat, la multiplication des offensives politiques et économiques contre le journalisme indépendant ? Je ne vous parle pas du quatrième hacking en dix-huit mois que subit actuellement Mediatico, qui ralentit incroyablement le site et empêche son bon référencement… désolé pour cela, on s’en occupe. Non, je vous parle avant tout de démocratie. Car depuis la loi du 29 juillet 1881 qui a instauré en France le droit d’information et la liberté d’expression, l’information et la démocratie sont les deux faces d’une même pièce. Quand l’information est tronquée, truquée, faussée, dénaturée, l’esprit des citoyens manque de clairvoyance, cesse de réfléchir, s’égare là où les manipulateurs décident de les emmener. En général, à l’extrême-droite.
Je vous parle donc du contrôle de 9 milliardaires sur 90% de la presse française ! Car assurément, acheter un média, c’est acheter de l’influence et du poids dans le débat politique. Je vous parle de la mise au pas par Vincent Bolloré du JDD, après Paris Match, Europe 1, C8 et CNews. Du même industriel qui poursuit désormais les médias devant les tribunaux de commerce, où le « secret des affaires » est plus fort que le « secret des sources ». Ou du long conflit ouvert entre le milliardaire Bernard Arnault et les rédactions des Echos et du Parisien, dont il est actionnaire.
Je vous parle aussi du départ d’un-tiers des journalistes du journal La Provence, après son rachat par Robert Saadé. De la justice qui interdit à Mediapart de publier des informations sur le maire de Saint-Etienne. De harcèlement juridique. Des procès-bâillon contre les journaux fragiles. Des agressions de reporters par la police durant les manifestations. Des violences croissantes contre les femmes journalistes. De précarisation économique de la profession. De désinformation sur les réseaux sociaux. De fake news. De manipulation. De censure… Et d’étouffement démocratique.
Les forces démocratiques réagissent
Il n’est pas supportable de laisser le champ des idées aux manipulateurs, aux complotistes, aux haineux. Ceux-là ne peuvent pas façonner notre vision du monde sans que nous réagissions. L’Unesco le rappelle clairement : « La façon dont nous percevons le monde et interagissons avec lui dépend des informations à notre disposition. C’est pourquoi la liberté d’expression et la liberté de la presse constituent des droits fondamentaux, et la libre circulation des idées est un facteur caractéristique des sociétés dynamiques et du progrès humain ». Il en sera évidemment question aujourd’hui, au Forum Mondial Convergences, sur la table ronde emmenée par LookSharp sur le thème : « Communication, media, culture : embarquons tous les acteurs dans les transitions ».
La semaine dernière déjà, le festival des coopératives L’Onde de Coop a mis l’accent sur les formes de coopération, à l’oeuvre notamment dans l’économie sociale et solidaire, comme acte de résistance et de préservation de l’information en tant que bien commun. Oui, les forces démocratiques réagissent. Agnès Rousseaux, directrice de Politis, rappelle ainsi l’existence d’une trentaine d’entreprises de presse sous statut coopératif en France… dont Politis depuis une semaine ! De son côté, L’Âge de Faire dit l’importance que ses lecteurs soient propriétaires de leur média, en lieu et place d’actionnaires simplement capitalistes. Et Blast, fort de ses 2.000 sociétaires, explique en quoi sa coopérative d’intérêt collectif permet de lutter contre la défiance des citoyens, en créant un climat de confiance envers des lecteurs-spectateurs qui acceptent alors de devenir des lecteurs-acteurs.
Voilà deux ans, Mediatico avait déjà relayé l’étude d’Aesio mutuelle et d’ESS France sur l’opportunité que représente pour les médias le modèle de l’économie sociale et solidaire (lire l’étude). Désormais, devant la montée du Rassemblement national, plusieurs initiatives collectives inter-médias se consolident, autour d’organisations déjà constituées. C’est notamment le cas du syndicat de la presse indépendante, le SPIIL, qui regroupe déjà 300 médias indépendants. Ou de l’association Un bout des médias emmenée par Julia Cagé, qui délivre un plaidoyer offensif pour l’indépendance économique des médias libres. Mediapart aussi est à la manœuvre, avec le Fonds de dotation pour une presse libre, le FPL, qui délivre chaque année quelques aides financières.
La naissance de Coopmédias
Enfin, deux autres projets dont Mediatico est partie prenante sont sur le point de voir le jour. La Maison des Médias Libres d’abord, qui ouvrira à Barbès en 2026. Son objectif : regrouper des médias indépendants dans un même bâtiment pour faire écosystème et démultiplier les interactions. Le Conseil de Paris a voté au mois de juin, à l’unanimité, la vente du bâtiment à un collectif composé notamment du millionnaire (excusez du peu) Olivier Legrain et de la foncière Bellevilles, spécialisée dans le financement et la structuration de tiers-lieux à impact social.
Quant à la coopérative Coopmédias, elle est née pas plus tard que la semaine dernière. Projet de coopération entre médias indépendants et le secteur de l’économie sociale et solidaire, son but est double : créer des ponts entre l’ESS et les médias, d’une part, afin de porter la cause du pluralisme et l’existence de solutions alternatives dans le système dominant ; et répondre aux difficultés des médias indépendants, d’autre part, en cherchant des solutions de financement, de mutualisation de moyens et de diffusion de contenus.
Mediatico fait évidemment partie des sociétaires, parce que la presse libre et indépendante est indispensable à l’opinion publique. Mais si les médias indépendants se prennent en main face aux violentes offensives du pouvoir économique, cela ne doit pas faire oublier l’incontournable rôle du politique : en matière de médias, d’information et de démocratie, une régulation des pouvoirs publics est indispensable afin de protéger nos acquis les plus précieux. A cet égard, le rôle de l’Arcom est aujourd’hui bien tiède, Monsieur Macron. Et que ferez-vous donc finalement demain des propositions des Etats Généraux de l’Information ?