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Sans équivoque possible, c’est une volée de bois vert, un véritable festival de critiques venues de toutes parts, qui accueille en cette rentrée la création du tout nouveau Mouvess, le Mouvement des entreprises Écologiques, Sociales et Solidaires. Son président, Jonathan Jérémiasz, ne s’en étonnera pas. Il a l’expérience, le cuir dur, et cette conviction chevillée au corps : il faut redonner une instance de représentation nationale aux entrepreneurs sociaux. Car beaucoup se disent abandonnés depuis la transformation de l’ancien “Mouves” en “Mouvement Impact France”, voilà trois ans. 

Le Mouvement Impact France, en effet, est désormais entièrement tourné vers les entreprises à impact, y compris les multinationales cotées en bourse, pourvu qu’elles cherchent à avoir un impact positif au plan social, environnemental ou territorial. Son objectif, ambitieux, est de montrer le chemin à toutes les entreprises, afin de transformer l’ensemble de l’économie classique. 

Quitte à renier ses racines ? Assurément. Pascal Demurger, co-président du MIF, déclarait aux journalistes voilà dix jours, lors des Universités de l’Économie de Demain : « Le Mouvess est un autre mouvement, qui n’a rien à voir avec le Mouvement Impact France (…) Nous verrons ce qu’il advient de lui, et s’il tient dans la durée ». Touché. Le ton est donné.

Le Mouvess bouscule, dérange, déplaît. Non pour l’objectif qu’il se fixe, mais en raison des moyens d’y parvenir, donc de son positionnement politique. Le Mouvess veut en effet « reconstituer et animer une communauté d’entrepreneurs sociaux sur des fondements clairement identifiés, mais aussi porter une vision exigeante de l’ESS », qui passe selon lui par la réécriture de l’article 1 de la loi ESS de 2014, autant dire sa définition même. Rien de moins.

Lundi soir, lors de la conférence de rentrée d’ESS France, l’instance qui regroupe toutes les familles de l’économie sociale et solidaire – y compris le MIF aujourd’hui et peut-être un jour le Mouvess – le message était clair : la loi a beau être perfectible, nul n’est besoin de la réécrire aujourd’hui, car les vrais enjeux sont ailleurs. Jérôme Saddier, président d’ESS France, annonce qui effectue sa dernière année de mandat et se chauffe la voix d’entrée de jeu : 

« L’ESS doit largement ses conquête à ses combats militants, mais aussi à ses statuts et à ses règles de fonctionnement » : partage équitable de la valeur, prises de décision par la citoyenneté économique, le rapport au territoire (que l’on sert), à l’innovation (sociale), à la lucrativité (nécessaire mais pas prioritaire), au temps long (le capital patient)… 

« Tous ces éléments ne sont pas dans l’article 1 de la loi de 2014, car ce que nous faisons est d’abord le produit de notre liberté, et non pas d’injonctions diverses. En somme, nous sommes nous aussi des entrepreneurs sociaux », taquine Jérôme Saddier. Et de regretter « l’obsession de quelques esprits isolés, qui s’acharnent à vouloir saboter l’article 1 », alors que « Ess France veut rassembler, fédérer, privilégier le collectif et la loyauté des uns envers les autres ».

Bataille d’égos masculins ? Certes pas. Voilà qu’Olivia Grégoire revendique, avec ironie, le droit de manifester à son tour son irritation. À la tribune, la ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, qui compte aussi l’économie sociale et solidaire dans ses attributions, assène : « L’ESS n’est pas une économie qui se résume à l’article 1 de la loi de 2014 ». Elle ajoute : « Certains voient leur intérêt particulier dans l’idée d’opposer les gens entre eux. Mais on peut être en coalition sur certains sujets pour créer des passerelles, comme le font les UEED avec l’économie à impact ». 

Et si le message n’était pas assez clair, Olivia Grégoire conclut : « Jérôme Saddier et moi n’avons pas le même parcours politique [rires dans la salle, ndlr], mais je peux vous dire qu’il représente pour moi ce qu’il y a de plus noble : une vision, un esprit constructif. On n’est pas obligé de s’opposer avec virulence ».

Sur la table ronde qui s’ensuit, c’est Claire Thoury qui enfonce le clou : « La loi de 2014 a sans doute des limites, mais la loi ne fait pas tout ». La présidente du Mouvement Associatif, membre d’ESS France et qui représente la moitié des associations françaises, assure que l’urgence est ailleurs : « Nous avons besoin de moyens financiers pour l’économie sociale et solidaire, c’est pourquoi nous appelons à une loi de programmation pour l’ESS ». « Plutôt que réviser l’article 1, construisons des alliances pour conquérir de nouveaux segments de l’économie ».

Frédéric Tiberghien, président de l’association de finance solidaire Finansol, renchérit : « Nous n’avons pas besoin de réviser l’article 1 et les statuts juridiques, nous avons surtout besoin de plus de moyens de l’État ». 

Et Timothée Duverger, enseignant à Sciences Po Bordeaux spécialisé dans l’économie sociale et solidaire, de rappeler quelques chiffres : « Sur 220.000 structures de l’économie sociale et solidaire en France, on compte 1.000 sociétés commerciales de l’ESS » qui se revendiquent de l’entrepreneuriat social. « L’important, c’est d’irriguer le secteur pour le développer. On n’est pas sur un enjeu identitaire ».

Le tir de barrage est nourri, mais la série n’est pas finie. Au prochain épisode, le Mouvess nous donnera la réponse des députés, qu’il a saisis par écrit pour leur demander d’engager “une réforme de la loi du 31 juillet 2014, et tout particulièrement celle de son article 1 portant définition de ses entreprises”, pour introduire “l’obligation – a minima – de se fixer des objectifs sociaux et environnementaux” pour les entreprises de l’ESS et “un encadrement légal de la rémunération des dirigeants de ses plus grandes entreprises” sur le modèle des entreprises publiques.

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