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Après la réforme houleuse des retraites, le gouvernement s’attaque donc au plein emploi. Le projet de loi qui prévoit de réformer Pôle Emploi et de créer un guichet unique d’accès à l’emploi, nommé France Travail, a été présenté mercredi dernier en Conseil des ministres (lire ici). Objectif : faire baisser encore le taux de chômage. Un dossier plus calme pour le gouvernement ? A priori oui, car qui oserait manifester contre le plein emploi ? Quels slogans imaginer sur les banderoles ? Quelles revendications porter ?

Balayez vos a priori ! La CGT vient de trouver : « France travail s’attaque aux précaires plutôt qu’à la précarité », titre la centrale syndicale (lire ici). La Fédération des Acteurs de la Solidarité a aussi pris position, redoutant une stigmatisation (lire ici). Or, c’est précisément « le » sujet qui monte dans l’économie sociale et solidaire. Les acteurs de l’insertion par l’activité économique (IAE) ont pris une position collective mi-février pour demander « que la politique du plein emploi ne laisse personne au bord du chemin » (lire ici). Certes, après la publication mi-avril du rapport France Travail de Thibaut Guilluy, Haut-commissaire à l’inclusion dans l’emploi, ils restent discrets. Mais ils attendent le débat parlementaire, la bataille des amendements et la publication des décrets d’application. Alors seulement, ils sauront si France Travail profitera vraiment à ceux qui en ont le plus besoin.

Il faut dire que le projet France Travail soulève quelques questions. Réformer Pôle Emploi est assurément nécessaire, ceux qui sont passés par ses guichets en attestent : pourquoi être si mal accueilli, repartir sans réponses, ou rester sans indemnités durant 3 mois ?! Mais en quoi rapprocher Pôle Emploi, les Missions locales, Cap Emploi et l’Apec, entre autres, serait-il plus efficace ? France Travail vise à instaurer « un point d’entrée unique dans le service public de l’emploi, pour ne pas laisser des personnes de côté », répond Thibault Guilluy. Soit ! Encore faut-il que ce « guichet unique » oriente alors vers des réponses en logement, en santé, ou en droits des personnes privées d’emploi. La barque risque d’être bien lourde.

Réformer Pôle Emploi fera-t-il baisser le chômage ? Non, au contraire ! Car 1,9 million d’allocataires du RSA seront progressivement inscrits dans les statistiques de France Travail, parmi lesquels 1,2 million passent actuellement sous les radars de Pôle Emploi, rappelle France Info (lire ici). Mécaniquement, le taux de chômage devrait donc remonter. Et ce n’est pas une mauvaise chose : après avoir invisibilisé différentes catégories de chômeurs durant des années, en tordant les statistiques ou les définitions du chômage, nous retrouverions des chiffres plus conformes à la réalité. Mais c’est politiquement plutôt risqué !

Enfin, là où le bât blesse, c’est sur la contrepartie demandée aux allocataires du RSA pour pouvoir toucher leur allocation. La phrase ne figure plus dans le projet de loi de mercredi dernier, mais l’idée demeure dans les esprits : conditionner le versement du RSA à la réalisation de 15 ou 20 « heures d’activité » par semaine. La boîte de Pandore est ouverte. Pourquoi faudrait-il sanctionner, au lieu d’encourager, ceux qui peinent ? Qu’appelle-t-on une « heure d’activité » ? Et quelle idéologie sous-tend cette contrepartie ?

Résumons : si l’on veut faire la chasse aux chômeurs « paresseux » ou « profiteurs » du système, le gouvernement doit le dire clairement. Quitte à prendre un autre risque politique, en faisant le jeu du RN. Mais il ne doit certainement pas pousser les Français à confondre « chômeur » et « allocataire du RSA » : le RSA est un revenu minimal qui évite aux plus précaires de basculer dans la grande pauvreté, sans rapport avec leur parcours dans l’emploi. Cette avancée humaniste, inscrite dans la loi française depuis 1988, digne d’une société démocratique avancée, ne saurait être marchandée contre des « heures d’activité ».

Mais qu’appelle-t-on « heures d’activité » ? A l’évidence, il ne s’agit pas d’heures rémunérées autrement que par le RSA, sinon nous parlerions de « travail salarié », CQFD. Alors s’agit-il, comme le gouvernement l’entend, d’offrir 15 à 20 heures d’accompagnement gratuit aux personnes exclues du marché de l’emploi pour se remettre le pied à l’étrier ? Ou, vu de l’autre côté du miroir, de donner 15 à 20 heures de son temps à une entreprise, une collectivité ou une association, soit l’équivalent d’un mi-temps, pour zéro rémunération ?

Voilà que les nouvelles frontières du travail nous reviennent comme un boomerang. Oui, le post-Covid, les visioconférences, le numérique, le télétravail… mais aussi l’ensemble des interrogations sur la nouvelle productivité des collaborateurs. Soyons clairs : en entreprise ou dans les collectivités, les managers sont bien mal équipés et bien mal formés pour faire de l’accompagnement social au plus proche des besoins des allocataires du RSA. Ces derniers risquent donc fort de passer pour de simples stagiaires.

Le monde associatif, lui, invite à une question supplémentaire liée au bénévolat : puisqu’il ne s’agit pas de « travail salarié », ces « heures d’activité » qu’exerceraient les allocataires du RSA sont-elles assimilables à du « travail bénévole » ? Aïe ! Cette expression pique déjà mes oreilles ! Selon sa définition, le bénévolat est en effet une activité sans relation hiérarchique que l’on effectue par plaisir, sans en attendre de rémunération d’aucune sorte. Or, la notion de « travail bénévole » exprimée par le gouvernement (exemple ici) entretient la confusion. Mais saviez-vous qu’une mission bénévole effectuée chaque semaine à la même heure peut être requalifiée en contrat de travail en CDI par le tribunal des Prud’hommes ?

Reste enfin le cas particulier des associations spécialisées dans l’insertion par l’activité économique (IAE), dont le métier est justement de former et d’accompagner vers le marché du travail des personnes très éloignées de l’emploi, comme les allocataires du RSA. La Fédération des Acteurs de la Solidarité rappelait voilà quinze jours les « nombreuses interpellations » du secteur de l’IAE sur le manque de crédits publics pour financer les actions d’insertion (lire ici). La FAS souligne aussi que la rallonge budgétaire de 134 millions d’euros obtenue in fine permet heureusement de compenser la dernière augmentation du SMIC, mais provient principalement de redéploiements de crédits initialement alloués à d’autres contrats aidés. Une hausse budgétaire en trompe l’œil, donc.

Le chantier France Travail, bientôt en cours d’expérimentation dans 19 départements, laisse donc aujourd’hui bien des questions ouvertes pour les acteurs de l’IAE et de l’économie sociale et solidaire. Le Haut-Commissaire Thibault Guilluy s’efforcera d’y répondre notamment fin juin, lors de prochaines rencontres avec les associations intermédiaires… auxquelles participera Mediatico. Nous vous tiendrons informés !


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