Ça y est, les sociétés à mission ont leur Observatoire. Simple apparat ou consécration ? À vous de voir. Mais dans le petit milieu précurseur des militants d’un capitalisme engagé à la française, pas moins de 350 personnes ont participé en ligne, jeudi dernier, au cœur même de Bercy désigné comme le « cœur du réacteur » de l’économie, au coup d’envoi de l’Observatoire des sociétés à mission. Un Observatoire hébergé au sein de la Communauté des entreprises à mission, qu’anime avec ferveur Emery Jacquillat, le patron de la Camif. Un engagement d’entreprise spontané donc, qui donne à réfléchir à l’heure où le dernier rapport d’Oxfam affirme que les dix premiers milliardaires de la planète se sont enrichis de 540 milliards de dollars depuis le premier confinement et qu’il faut « taxer ces gens qui ont profité de la crise pour financer la facture du coronavirus ». Le capitalisme est en pleine mutation.
Mais qui sont donc les 100 entreprises françaises « à mission » qui se sont engouffrées dans la loi Pacte de 2019, acceptant en conscience de modifier leurs statuts pour faire primer désormais la quête d’un objectif d’intérêt général sur la recherche de la rentabilité et du profit ? Qui sont ces entreprises capitalistes qui formulent ouvertement une raison d’être, se dotent d’une mission à l’égard de la société, poussent leurs dirigeants à atteindre des objectifs non-financiers qui seront bientôt évalués par un comité externe indépendant et devant lesquels même les actionnaires doivent se plier ? Le profil des précurseurs vient d’être dressé par l’Observatoire des entreprises à mission, dans son premier baromètre.
Au 31 décembre, elles étaient donc 88 sociétés à mission – la barre des 100 a été franchie la semaine dernière – à avoir fait leur « changement statutaire », au terme d’un processus qui dure généralement de 6 à 18 mois. Beaucoup sont très jeunes, 20% sont même « nées à mission » et les deux-tiers comptent moins de 50 salariés. Le mouvement est donc surtout porté par les TPE-PME, plus agiles. Mais elles seront rejointes d’ici 2022 par des entreprises plus importantes qui sont « en chemin », sans doute inspirées par Maif, Danone, Groupe Rocher, In Vivo ou le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qui ont déjà sauté le pas. Enfin, l’impulsion vient presque toujours du dirigeant, qui mobilise son équipe de direction pour formaliser la mission de l’entreprise, celle-ci venant répondre à des enjeux d’ailleurs plus souvent sociaux qu’environnementaux.
J’entends l’économie sociale et solidaire interroger la sincérité de l’engagement de ces entreprises, bien que le caractère « à mission » soit révocable si les engagements ne sont pas tenus. Le « green washing » et le « social washing » ne viennent-ils pas de changer de costume ? A l’heure où Danone licencie, la question mérite d’être posée : sa mission est-elle « d’augmenter la marge distribuée aux actionnaires au détriment des emplois ? », interroge Michel Abhervé dans la dernière lettre du CIRIEC-France. La réponse tient en partie dans les arguments du président d’honneur du CIRIEC-France, Marcel Caballero, qui rappelle dans la même lettre les différences profondes entre l’économie sociale et solidaire et l’entrepreneuriat social : la première est d’essence collective, le second relève de l’initiative individuelle. Les deux maisons sont bien différentes, mais entre les deux « les portes sont ouvertes », résume Jean-François Draperi, rédacteur en chef de la revue RECMA.
Il en sera de même désormais avec une troisième maison, celle des sociétés à mission. Des entreprises menées par des femmes et des hommes de conviction, soucieux de transition sociale, écologique et économique, que Mediatico et son partenaire Prophil vous font découvrir depuis cet automne dans un nouveau podcast, « Entreprises en Mission ». Un podcast accessible sur toutes les grandes plateformes audio et décliné en vidéo parmi nos portraits engagés, sur Mediatico.fr.