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Et si les associations d’éducation populaire faisaient grève, pour un jour ou une semaine ? Imaginez seulement. Plus d’animation périscolaire, ni d’activités extra-scolaires. Porte close aussi au centre social, au centre d’animation, ou à la MJC. Même chose dans les antennes jeunes, les maisons de quartier, les cafés associatifs et les espaces de vie sociale (EVS) agréés par la CAF. Plus de centre de vacances non plus. Ni d’auberges de jeunesse. Ni de camps scouts. Ni d’autocars affrétés dans les quartiers pour partir un week-end à la mer… 

Oui, c’est tout ça l’éducation populaire. Terminologie peut-être poussiéreuse aux yeux de certains, compte tenu de sa longue histoire teintée de militantisme syndical et politique. Mais avant tout un mouvement actif, qui rassemble aujourd’hui sous la bannière du Cnajep pas moins de 70 organismes nationaux et 100.000 associations locales, intégralement vouées à l’accueil des jeunes, des familles et des habitants de tous âges, pour promouvoir l’accès à l’éducation, à la culture, à la solidarité, à l’esprit critique et à l’émancipation de chacun, dans le but de transformer la société toute entière !

Cette grève de l’éducation populaire, c’est l’une des idées toutes fraîches que j’ai entendues la semaine dernière, lors du séminaire « Éducation populaire : parlons Politique », organisé à Villeurbanne par le syndicat des employeurs du secteur, Hexopée. Son président Didier Jacquemain y soulignait l’extrême fragilisation financière des associations de jeunesse et d’éducation populaire, plus encore que l’an dernier : 30% des structures ont désormais moins de 3 mois de trésorerie d’avance. Et près de 1.000 d’entre-elles redoutent un dépôt de bilan dans l’année, disait à Mediatico son délégué général, David Cluzeau (revoir notre émission).

Quel est le prix d’une Fresque du climat ?

Pour sortir de la crise, les idées ne manquent pas. Telle une loi Valls 2, par exemple, qui avait permis en 2015 – au lendemain de la loi ESS de 2014 – de déboucher sur la signature d’une charte d’engagements réciproques entre les associations et l’État. Ce texte reconnaissait la subvention comme la contrepartie du service social rendu et, incidemment, comme un modèle économique à pérenniser sur le temps long. Aujourd’hui, une déclinaison de cette charte d’engagements réciproques est en voie de finalisation pour le secteur de l’éducation populaire. L’État acceptera-t-il de la signer d’ici l’été, comme l’attendent les associations ? 

Car pour l’heure, l’immense difficulté à obtenir de mini-subventions est incompréhensible. Délégué national du mouvement E-Graine, Julien Mast s’emporte face à la montagne à gravir pour décrocher 400 euros de fonds publics pour financer une Fresque du climat pour les jeunes d’un centre social, quand la même Fresque est vendue à l’identique pas moins de 4.000€ dans les entreprises qui travaillent leur RSE et leur engagement collaborateurs. Certes, le payeur final n’est pas le même. Mais se pose ici la question de la véritable valeur du service rendu aux usagers et du retour sur investissement de l’action sociale, que les associations locales sont seules à offrir.

Pour autant, les élus locaux se mobilisent sans compter. De nombreux adjoints au maire étaient présents lors du colloque Hexopée. En charge de la jeunesse, de l’éducation populaire, de la vie associative, de la transition démocratique… Ceux de Marseille, Poitiers, Strasbourg. Et ceux de Villeurbanne bien sûr, l’un des creusets historiques de l’éducation populaire en France, où l’on dénombre 800 associations et 6 centres sociaux pour à peine 150.000 habitants. C’est ici que l’un adjoint au maire voudrait créer un Office Municipal de l’Animation, installé par la municipalité mais géré en toute confiance par les associations. Exactement sur le modèle d’un Office Municipal des Sports. Ce qui fonctionne souvent très bien !

De la mesure d’impact au bras de fer politique

Hélas, côté élus locaux, c’est toujours le même son de cloche : les crédits manquent aux collectivités territoriales. L’État ne suit pas. L’État ne suit plus. L’État ne suit jamais ! Et les élus à l’éducation populaire se sentent trop seuls pour porter leurs combats. Il leur faudrait aujourd’hui un réseau structuré, capable de mailler le territoire national. Non pas pour accompagner la création de politiques publiques locales, comme le fait très bien l’Anacej, mais pour porter leur plaidoyer et établir un rapport de force au niveau national. Directement à Bercy, comme ESS France le fait pour l’économie sociale et solidaire. Mais l’éducation populaire se revendique à ce jour bien peu de l’ESS.

Alors, il reste le rapport de force politique. De l’argumentation, jusqu’au bras de fer. L’argumentation consisterait à valoriser aux yeux des décideurs publics la valeur informelle créée par l’éducation populaire. Autrement dit son impact non-économique, à forte valeur ajoutée sociale. A coups de chiffres, d’équivalences et de calcul des coûts évités, l’éducation populaire doit faire valoir le caractère indispensable de son action. Le bras de fer, lui, est l’étape ultime du rapport de force, tel qu’on le pratique en politique : si le ministère des finances trouve que l’éducation populaire coûte trop cher, comme il vient de le lui faire savoir au point d’en faire l’une des premières cibles de son dernier plan d’économies budgétaires de 10 milliards d’euros, alors demandons-lui combien le ministère de l’Intérieur devra dépenser en déploiement de forces de l’ordre pour tranquilliser les quartiers !

En attendant, l’éducation populaire permet aux jeunes Villeurbannais d’interviewer des policiers dans leur commissariat, pour un documentaire local sur les rapports police-jeunesse. Ou encore de créer leur média numérique, doté de leur propre comité éditorial, pour parler des sujets qui les concernent vraiment. Une éducation (populaire) qui sert à la fois l’expression, l’analyse des médias, le rapport à l’autorité, le respect des droits d’autrui, l’organisation de la vie collective.

Les prochaines Rencontres nationale de l’éducation populaire se dérouleront à Poitiers, du 30 mai au 1er juin. D’ici là, une campagne nationale de mobilisation et de soutien à l’éducation populaire se prépare. En espérant qu’elle suscitera des réponses fortes. Pour éviter la grève.

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