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Par Youssef ACHOUR, Président du Groupe UP, Timothée DUVERGER, Directeur de la Chaire TerrESS (Sciences-Po Bordeaux), Maryline FILIPPI, Professeure à Bordeaux Sciences Agro, Jean-Luc GLEYZE, Président du conseil départemental de la Gironde et Jérôme SADDIER, Président d’ESS France

La crise du recrutement et la croissance du nombre de démissions ne révèlent pas seulement un nouveau rapport de force sur le marché du travail en faveur des salariés, mais bien une mutation de notre rapport au travail. C’est ce dont témoigne le dernier baromètre Ifop-Solutions solidaires En pleine crise du pouvoir d’achat, on observe une inversion des préférences entre le salaire et le temps libre. Alors qu’en 2008, seulement 37 % des Français préféraient gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre, ils sont aujourd’hui 60 % à exprimer cette préférence.

Ces transformations affectent le travail lui-même. Quand on interroge les salariés intéressés par les modèles de l’économie sociale et solidaire (ESS), c’est le sens donné à son travail et le sentiment d’être utile à la société qui ressortent à 48 %. La crise du travail comprend donc bien une crise de sens, ce dont témoigne notamment le mouvement de la « grande désertion »  qui touche les jeunes diplômés. Il serait par ailleurs illusoire de n’y voir qu’un phénomène concernant les Français «qui vont bien». Les difficultés de recrutement dans les secteurs de la restauration, du tourisme, de la santé, du social, etc., montrent que toutes les catégories d’emploi sont concernées.

Dans le même temps, sous l’effet conjugué de la pandémie de Covid-19, du réchauffement climatique et de la crise de l’énergie, nous assistons à une réorganisation des chaînes de valeur. C’est un tournant qui s’opère d’abord au niveau local et auquel les entreprises sont sommées de répondre. Alors qu’il était admis depuis longtemps qu’elles devraient se réformer sous la pression de consommateurs devenus responsables, ce sont en réalité d’abord leurs collaborateurs, actuels et potentiels, qui les poussent au changement. Les aspirations accrues en faveur du cadre de vie, du sens et des relations de travail fondent un nouveau rapport à l’entreprise. Ce n’est pas un hasard si la Conférence internationale du travail vient de consacrer sa 110e session à la contribution de l’ESS au travail décent, le huitième objectif de développement durable des Nations Unies.

La convergence entre les mutations du travail et le tournant local nous conduit à mobiliser la responsabilité territoriale des entreprises, notion émergente qui peut être définie comme un «entreprendre en commun et en responsabilité pour le bien commun»[1]. Alors que la RSE apparaît trop souvent comme une obligation de «reporting» centrée sur les organisations elles-mêmes, la responsabilité territoriale pose d’emblée la question de l’action collective et du changement institutionnel, ainsi que celle de la relation aux collectivités locales et aux parties prenantes extérieures. L’ESS la met déjà en œuvre quand elle déploie ses processus de coopération public-privé, dont les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ou les Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) fournissent des exemples aboutis.

Aujourd’hui, alors que le monde change et que ce changement s’accélère, nous appelons à expérimenter cette responsabilité territoriale avec les acteurs publics et les acteurs privés pour coconstruire des solutions nouvelles et développer nos territoires, particulièrement les plus frappés par la crise ou les plus concernés par le changement climatique.

Tribune publiée initialement dans Libération le 12/10/2022.


[1] Maryline Filippi (dir.), la Responsabilité territoriale des entreprises, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2022.

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