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C’est toute une politique publique de solidarité qu’il convient de repenser. Quand les prix alimentaires s’envolent, l’augmentation de la précarité nous éclate au visage. Mais que n’a-t-on agi plus tôt ? Chacun sait qu’il vaut mieux vaut prévenir que guérir. Or, on a fait l’inverse. On a fait l’autruche. Suppression de l’ISF, crédits d’impôts à gogo sans contreparties, précarisation du monde du travail, illusion d’une société qui serait vaillante parce que le taux de chômage recule… La vérité est ailleurs. Le nombre de demandeurs d’aide alimentaire a augmenté de 7% sur un an à la Croix Rouge, de 20% aux Restos du Coeur, de 20% à 40% selon les antennes du Secours Populaire. Alors, voilà.

Les Restos du Coeur à Wattrelos (Nord) sont vandalisés, ses douze camions immobilisés, 53 centres de distribution ne sont plus livrés et 40.000 bénéficiaires sont non assistés. Le président des Restos du Coeur, Patrice Douret, est dans son rôle quand il songe à l’échelon national, qu’il saisit les médias et qu’il lance : « Nous avons besoin de 35 millions d’euros cette année, sans quoi 150.000 bénéficiaires ne pourront pas être aidés ». Une belle opportunité de visibilité. Appelons-ça du marketing associatif, on en voit de plus en plus. Et c’est de bonne guerre.

Car décryptons les chiffres. Les Restos du Coeur, c’est un budget de 200 millions d’euros par an, dont près de 80% proviennent de la générosité privée et seulement 20% de subventions publiques (soit environ 40 millions d’euros). Lorsqu’il demande 35 millions d’euros, Patrice Douret demande donc à doubler l’effort de l’Etat – ou de l’Europe – pour son association. 

Côté dépenses, 5% seulement du budget est consacré aux frais généraux, et 91% aux missions sociales des Restos du Coeur d’aide aux plus démunis (soit environ 180 millions d’euros). Gageons que ces chiffres sont justes, même si l’association s’est étonnamment retirée en 2016 du Comité de la charte du « Don en confiance », qui garantit la transparence des fonds utilisés. 

Aux Restos, association préfére des Français, les frais de personnels sont par ailleurs conséquents. Forcément : plus de 500 salariés sont employés pour assurer le fonctionnement de 115 associations départementales. Dans le même temps, 100.000 bénévoles apportent leur aide chaque année, dont 70.000 sont bénévoles réguliers. Chiffrée en équivalent temps plein, la valeur du bénévolat n’est pas très éloignée de la masse salariale des Restos du Coeur. C’est comme si les Restos du Coeur coûtaient deux fois moins cher que ce qu’ils devraient coûter en réalité.

Ainsi, les Restos du Coeur que Coluche rêvait de voir très vite disparaître, mais qui fêteront bientôt leurs 40 ans, sont à la fois économes, productifs, utiles aux territoires et indispensables au plan social. Voilà un service public essentiel, rendu par une association privée, soutenue par la générosité des Français, dont nous pouvons être fiers. Et qui, hélas, doit demander l’obole !

Il n’a fallu que quelques heures pour qu’Aurore Bergé, ministre des Solidarités, annonce le déblocage d’urgence de 15 millions d’euros pour les Restos du Coeur. Pour que les groupes de distribution privés Carrefour et Intermarché s’engagent à apporter aux Restos 1 million d’euros de dons supplémentaires d’ici la fin de l’année. Pour que Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, offre 10 millions d’euros. Action rapide et rassurante. Mais voilà qui interpelle.

Cette situation met en lumière quelques déséquilibres criants. D’abord, l’urgence. Pourquoi une telle urgence, quand chaque année depuis 40 ans les Restos nous sollicitent, et quand nous savons très bien que la guerre en Ukraine, la flambée énergétique ou l’envolée du prix du Caddie vont se traduire très concrètement dans le quotidien des Français… et de leurs associations. Merci pour la réponse dans l’urgence, mais pas pour le manque d’anticipation.

Ensuite, la pertinence. L’effort supplémentaire – louable – des grandes chaînes de supermarchés sera comme d’habitude déduit des impôts des distributeurs. L’État va donc leur restituer une part d’argent public, au lieu de l’affecter directement aux associations caritatives qui en ont besoin. Il serait décidément bien pertinent de repenser les circuits de financement de la solidarité. 

Enfin, la cohérence, au sommet de l’Etat. Nous avons vu la ministre des Solidarités débloquer 15 millions d’euros. Aurore Bergé est l’interlocutrice privilégiée de Patrice Douret et c’est très bien. Mais que ne s’est-il tourné vers Prisca Thévenot, ministre en charge de la Jeunesse, du Service national universel, et par là-même de la Vie associative ? Ou vers Olivia Grégoire, ministre des PME, du commerce, de l’artisanat, du tourisme et (in extremis) de l’économie sociale et solidaire ? 

Le gouvernement a hélas une approche de l’économie sociale et solidaire partielle, variable et cloisonnée. Beaucoup trop, pour l’instant, pour espérer voir émerger des politiques publiques cohérentes aux yeux des acteurs de l’ESS et des besoins des Français.

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